• La Moche et le Soleil (train).

     

     La Moche et le Soleil (train).

     

    Sur le quai de la gare le froid piquait en aiguilles sur leurs visages et ça figeait les paillettes dans la pupille du Soleil. Après ça, tellement elle le trouvait beau, la Moche souriait.

    On n’a pas voulu leur expliquer la chance de leur vie mais c’était pas bien nécessaire.

     

    Tous les deux, ils savaient.

     

    La Moche était assise sur la valise énorme avec dedans tout leur bordel en mélange. Le Soleil fumait une roulée en matant l’horizon des rails. Les trains, le font tellement chier.

     

    Ils attendaient le bon. Celui qui allait traverser leur monde, leurs nuits, les aubes glacées, les flocons en pagaille, les steppes, les villages, la liste de leurs désirs, et puis celle de leurs regrets. 

     

    Y a des tas de voyages à s’offrir chaque seconde mais là c’était pas pour déconner. 

    Tous les deux, le savaient. 

     

    On l’a entendu au loin. Le train. 

     

    La Moche a décidé de porter la valise, le Soleil s’est foutu de sa gueule à cause de ses petits bras qui ne valent rien. 

    -Laisse-moi faire ma Moche. 

    Ça l’a vexée à peine vu qu’elle adore les bras costauds de son Soleil. Elle a récupéré le mégot qu’elle a fait vaguement semblant de terminer avant de le balancer sur les rails. 

     

    Embarquement. Imminent. 

    Fermeture automatique des portes. 

     

    Ils ont installé à l’arrache leur bordel dans la cabine avec les deux petites banquettes lit, le lavabo et un genre de table amovible côté fenêtre. Ils ont entendu le coup de sifflet du chef de gare. Ils se sont précipités dans le couloir, ont collé leur nez contre la vitre dégueulasse où des milliers de voyageurs avaient foutu leurs mains poisseuses avant eux. La Moche a fermé les yeux, senti le roulement du train qui démarrait en crachotant sous elle. La main du Soleil est venue se poser sur son épaule droite et sa tête contre son épaule gauche. Ils étaient tous cons, tous gamins. Tous les deux.

     

    Le rêve. 

    A commencé. 

    Y avait Memories dans leurs têtes, en boucle.

     

     ***

     

    J’crois pas quand elle m’a proposé qu’on prenne le train elle et moi que ça m’ait beaucoup emballé. Vu que j’en bouffe à la pelle des putains de trains, des rails, le roulis, les sièges qui puent et ces fucking sols dégueulasses et collants…nan quand elle a proposé le truc, j’étais pas emballé. 

     

    Mais c’est ma Moche…elle se faisait ce trip depuis plusieurs semaines, la faute à ce mec-là Thylacine, que j’lui avais fourré moi-même dans le crâne avec son Transsiberian, donc après bon, j’pouvais m’en prendre qu’à mes conneries c’est vrai. 

     

    Elle m’avait sorti comme ça qu’on allait prendre le train, j’avais demandé lequel, et évidemment elle avait répété « le train ». J’voyais qu’elle était crevée depuis un moment, et elle avait un peu mal partout. Pas évident que le train ne la repose, mais j’avais pas envie de négocier, ni d’en faire une petite chose fragile de ma Moche, elle doutait bien assez d’elle comme ça. Alors, j’ai posé aucune résistance, je savais qu’elle finirait par me convaincre que ça pouvait être beau un train.

     

    Elle m’a laissé mettre ce que je voulais dans la valise, qui ressemblait surtout à une malle de voyage. Et de la voir poser son cul, moulé dans son jean, là-dessus j’imaginais des trucs après et c’était plutôt bon à prendre. 

     

    Tu mènes ta vie, tu fais tes projets, t’avances tête baissée, tu bosses, tu te donnes des putains de moyens pour réussir et un jour bah tu prends le train. Le bon. Le temps d’un rêve.

     

    Voilà c’est pas plus compliqué. C’était le truc à faire pour elle et moi à ce moment-là de notre histoire. 

     

    Parce que les histoires, t’as beau en prendre soin, elles se braquent contre toi parfois. Tu te retrouves embarqué hyper loin, alors que trente secondes avant t’étais tout près d’elle, ses pupilles dilatées dans les tiennes, et tu comprends pas, tu sens que ton épiderme se décolle du sien, sa main lâche tes cervicales, plus rien ne s’agrippe comme avant et alors t’as un temps d’arrêt. Tu captes un truc pas bon, un truc que t’as pas vu arriver. J’voulais qu’elle reste là sur le quai, son cul posé sur la malle et que plus jamais on ne bouge de là. Vouloir connement que ça se fige alors que tout est en perpétuel mouvement. Et en même temps, vouloir que tout bascule, vouloir qu’elle se mette à danser sous mes yeux alors que le plan est immobile. C’était ça son idée du train à ma Moche. Elle voulait nous voir ciller mais sans qu’on s’écroule, elle voulait qu’on se rattrape aux rebords de nous. De notre rêve. De nos plans d’artistes. 

     

    Son écriture. 

     

    Ma musique. 

     

    C’est pour ça, j’aime pas les trains putain, mais celui-là, je l’ai pris.

     

     

    ***        

       

    Mon Soleil faisait la gueule sans la faire sur ce quai de gare glacial. 

    A cause des trains. Grace à moi. 

    Je pensais au voyage que nous allions faire. 

     

    Comme d’habitude je dévorais le décor en douce et mon Soleil planté-là à quelques souffles de moi, je le sentais un peu crevé, mais saturé d’énergie à ne pas savoir quoi en foutre. Et j’adore quand il est comme ça, quand il oscille. 

     

    On est monté, le train a démarré. 

     

    J’avais Transsiberian qui se déclinait en rang d’honneur à fond dans ma tronche en vrac et c’était tellement bon que j’sentais mon cœur presque sur le rebord de mes lèvres. J’ai fourré ma langue jusqu’aux amygdales de mon Soleil, c’était manière de lui dire Merci

     

    On a commencé par faire les cons sur nos banquettes-lit, et farfouiller dans toute la cabine chaque recoin, histoire de prendre nos aises. J’ai vérifié qu’on pouvait verrouiller la cabine. La poignée était cassée, on ne pouvait pas, ça nous a excité grave. On a saisi l’instant comme il s’offrait.

     

    Quand ce genre de plan te tombe sur la gueule, prend. Réfléchis pas surtout et…prend. 

     

    On était tout en sueur et le souffle court quand des éclats dorés ont traversé la vitre pour venir se loger dans les pores de nos peaux nues. Ça foutait des frissons partout et on souriait comme des poètes, ça faisait béat sur nos bouilles, un peu niais presque. Trop bon quoi. 

     

    J’crois qu’on a dormi, on était bercé par le frottement des roues sur les rails, on était mort aussi, à force de courir après la vie, de vouloir être au top, de bosser comme des dingues sur nos projets, de rien vouloir rater, et puis toutes ces histoires de liberté qu’on veut nous faire croire qu’elle crève diffusées en boucle à la télé depuis deux semaines…je crois qu’on n’en pouvait plus lui et moi. 

     

    Comme le monde. On n’en pouvait plus de tout ça. 

     

    Il fallait qu’on break de tout ce crade, tout ce glauque. C’est pour ça, on a dormi doucement, sa tête enfoncée dans ma clavicule, ma cuisse sur son bas ventre et son souffle dans mes tifs en bataille. On a pioncé, longtemps. Et le soir est tombé sur nous sans trop nous avertir ce qui fait que quand j’ai ouvert les yeux, trois heures plus tard au moins, j’étais complètement paumée.

     

     *** 

     

    Je m’étais réveillé avant toi, peut-être cinq minutes avant, pas plus et je photographiais mentalement ton visage, le drap sur toi, ton odeur, en essayant calmement de poser une partition sur l’ensemble. 

     

    Ma gratte était en face, ton pull bleu col en V balancé dessus quand j’te l’avais viré juste avant de t’allonger sur ce pieu de fortune qui me foutait la nausée à cause du roulis en dessous. Putain de train. 

     

    T’as ouvert tes mirettes et en trente secondes j’ai vu que ça n’allait pas. Ça m’a fait chier. J’aurai aimé que tu souris en me voyant, que la simple vue de moi te fasse tout oublier mais nan. Faut s’armer comme un guerrier pour te faire oublier tes peurs à toi, faut que je déploie mes rayons tellement loin que l’obscurité n’existerait plus jamais, faut des tas de trucs pour absorber ta putain, de putain de peur du soir qui tombe.

     

    -Tout va bien ma Moche on est dans le train.

     

    T’as même pas répondu. J’ai soufflé dans ton cou, j’étais prêt aux trucs les plus débiles dans ces cas-là. J’ai soufflé dans ton cou plusieurs fois, j’ai embrassé tes yeux, et puis à poil j’me suis levé, ça caillait sévère, j’ai mis mon jean et attrapé la gratte. J’ai allumé un espèce de truc qui ressemblait à une veilleuse au-dessus de ta tête en vrac pour faire partir le soir.

    T’as souri (enfin).

    Tu t’es redressée, t’as enfilé ton pull et tu t’es recroquevillée en glissant tes genoux à l’intérieur, il n’avait plus de forme ce truc à force que tu tires sur la laine comme ça. J’ai joué les morceaux que t’aimes et qui ont tendance à me faire chier. Des reprises de mecs qui miaulent des songs un peu trop love sur la radio. T’as demandé une de mes compos, mais j’étais pas vraiment chaud, j’étais un peu trop lucide encore. La nuit était noire maintenant et j’te sentais toujours pas très rassurée à cause de tes cauchemars.

     

    C’est pour ça qu’on a bougé, c’est pour ça qu’on a serré nos mains, et qu’on a décidé d’explorer le train, d’aller taper la bise à des gens, trouver de quoi bouffer, où pisser, et un coin idéal pour s’en griller une sans être emmerdés…la nuit deviendrait rien qu’à nous au moment où j’arriverai à éloigner tes putains de peurs, j’ai pris ta main, confiant, je savais qu’on y arriverait, je savais que tu me céderais, je savais que la nuit était là, devant nous, on était libre et j’étais en mesure de te faire oublier la peur, tout irait bien.

     

    ***

     

    On n’a pas beaucoup dormi cette nuit-là. C’était pas la première où tu me tenais éveillée au milieu de tes rêves et de tes notes de musique qui se baladent en fofolle dans le creux de nos oreilles pour pas que j'ai peur. On a longtemps palabré de choses profondes et futiles, on a cherché à savoir si l’océan avait une fin, et le ciel ?

     

    On s’est collé l’un contre l’autre pas mal dans les couloirs, on est descendu prendre l’air vers l’aube sur le quai, on aurait dit que le train rechargeait ses batteries. Tu m’as prêté ta parka. J’avais froid. J’pense que la bouteille de rhum y était passée, et j’avais très mal au crâne quand le train a redémarré alors on a bu de l’eau au goulot. On s’est installé face à face, chacun sur sa banquette, on se regardait et j’essayais de te faire cligner des yeux, mais t’es trop fort à ce jeu-là. Tu faisais ton boss, tu crânais grave, j’adore quand tu fais ça. On a mangé des gâteaux secs que j’avais cuisiné avant de partir, ça nous a donné du rose aux joues à cause du gingembre que t’aimes pas mais que là, t’as bien dû reconnaître que c’était délicieux comme ça. Le jour a envahi la cabine j’ai senti que je respirai mieux, j’ai pigé que mes démons me foutrait la paix jusqu’au prochain soir qui tomberait sur les wagons, mais que comme t’étais là, ça irait.

     

    J’ai mis mon casque sur les oreilles le son au max et je t’ai vu sombrer en face de moi dans un sommeil de plomb. J’ai ouvert le PC, un nouveau doc Word, j’ai tapé le titre La Moche et le Soleil, c’était pas notre histoire, c’était juste un bout.

     

    Celui qui parlerait du train.

     

     

     

     


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